The Cheshire Cat
S'il vous plaît, pourriez-vous me dire, dit Alice, un peu intimidée, car elle n'était pas très sûre qu'il fût très poli de parler la première, pourquoi votre chat sourit comme ça ?
C'est un chat du Cheshire, dit la duchesse, voilà pourquoi. Porc !
Ce dernier mot avait jailli avec une telle violence qu'Alice fit un bond. Mais un instant lui suffit pour voir qu'elle s'adressait au bébé, non à elle, et s'armant de courage, elle poursuivit : Je ne savais pas que les chats du Cheshire souriaient tout le temps. En fait, je ne savais pas que les chats pouvaient sourire. Tous les chats peuvent sourire, dit la Duchesse, et la plupart le font.
Je n'en connais aucun qui le fasse, dit Alice, très poliment, tout heureuse d'avoir pu engager la conversation. Vous n'en savez pas long, dit la Duchesse, et c'est un fait.
Les Aventures d'Alice au Pays des Merveilles ont enchanté des générations d'enfants et d'adultes. Ce récit commencé lors des promenades en barque avec les enfants Liddell, a été finalement édité trois ans plus tard, en 1865. Au delà de la relation très controversée qu'entretenait Lewis Carrol avec la petite Alice Liddell, c'est un pur bonheur à lire, une délectation où l'absurdité est reine mais obéit à une logique rigoureuse. Les personnages en sont savoureux et inoubliables : le Lapin blanc, le Lièvre de Mars, le Chapelier, la Reine de Coeur... mais surtout le Chat du Cheshire ! Eh oui, Alice, les chat sourient, c'est bien connu. Même si celui-là grimace plus qu'il ne sourit. Cela est certainement dû à ces fromages du comté de Cheshire d'où est originaire Lewis Carrol, qui ressemblaient à des chats grimaçants. Ce chat est un des rares personnages qu'Alice rencontre qui semble raisonnable. Il sait disparaître quand il le faut et réapparait quand il en a besoin. Pourtant, il se définit lui-même comme fou puisque contrairement au chien, il grogne quand il est content et remue la queue quand il est en colère. C'est d'ailleurs tout le paradoxe d'Alice au Pays des Merveilles, les fous avérés se pensent normaux et les rares qui soient sensés se croient fous. La pauvre Alice, elle-même, a bien du mal à s'y retrouver... et le lecteur aussi.
Chat du Cheshire chéri, commença-t-elle, un peu intimidée, car elle ne savait pas du tout si ce nom lui plairait. Mais le chat se contenta de sourire plus largement. Eh bien, ça a l'air de lui plaire jusqu’ici, pensa Alice, et elle poursuivit : Pourriez-vous me dire, s’il vous plaît, quel chemin suivre pour m’en aller ?
Cela dépend beaucoup de l’endroit où vous voulez vous rendre, dit le chat. Où, ça m'est bien égal, dit Alice. Alors, peu importe le chemin que vous suivez, répliqua le chat.
[The Cheshire Cat, in Alice au Pays des Merveilles - Walt Disney - 1951]