Sous la surface des roses
En 2005, j'avais pris cette photo à la FIAC (cet endroit magique où l'on peut prendre toutes les photos que l'on veut, mais où le prix d'entrée est indécent : le bonheur a un prix). Cette photo m'avait choqué, non, plutôt dérangé, il s'en dégageait une force poignante. Tout y semblait trop réel, trop cru.
Malheureusement - erreur de débutant - je n'avais pas photographié la légende de cette oeuvre et je n'avais donc aucun moyen d'en retrouver l'auteur. Le temps passa jusqu'au jour où...
... l'année dernière, à la FNAC (avec un N, le hasard est souvent espiègle), je tombais sur un livre de photographies, Sous la surface des roses d'un dénommé Crewdson, dont la couverture m'interpella. Et en le feuilletant, je retrouvais telle quelle la photo prise trois ans auparavant. Quel choc ! Choc d'autant plus grand que les autres photos étaient elles aussi empreintes de cette étrangeté malsaine qui attire presque malgré lui le spectateur. Je suis retourné à plusieurs reprises consulter l'ouvrage jusqu'au jour où je ne le trouvai plus.
Quelques recherches sur internet plus loin, il fallut me résoudre à la triste vérité : il était bel et bien épuisé. Petite consolation, il existe encore en anglais, Beneath the roses.
L'oeuvre de Crewdson est basée sur une réalité redessinée. Tout y est vrai et tout y est faux. Les intérieurs sont entièrement construits selon les croquis de l'auteur, les extérieurs sont truqués, métamorphosés par des éclairages puissants, les personnages jouent un rôle. Et les clichés sont retouchés numériquement.
La force des photos provient de l'antagonisme entre le familier et l'étrange. Il en résulte des situations inédites, mystérieuses, ambiguës.
En ce qui concerne la réalisation, rien ne vaut un exemple. Prenons cette scène de rue. La vidéo suivante (hélas, en anglais) nous détaille l'élaboration de cette photo. Sans elle, il serait difficile d'imaginer l'importance des moyens mis en oeuvre.
Né en 1962, professeur à l'université de Yale, fils d'un psychanaliste, Crewdson est le chef de file de la photographie de mise en scène (staged photography). Mais - comble de l'ironie - ce n'est jamais lui qui prend ses propres clichés.
[Sous la surface des roses, Gregory Crewdson]