L'Enfer d'Henri-Georges Clouzot
9 rue des Chasseurs, Serge Bromberg, producteur d'émissions et de films de télévision, prend l'ascenseur. Ce qui devait n'être qu'un banal trajet de quelques secondes, se transforme, car l'ascenseur tombe en panne, en un huit-clos de deux heures avec Inès Clouzot, la veuve du célèbre réalisateur. Celle-ci lui parle alors des bobines d'un film de son mari qui n'a jamais vu le jour, un véritable trésor...
Bromberg, collectionneur de vieux films, se met fiévreusement en quête des fameuses bobines. Le résultat, déjà présenté en 2007 pour le centenaire de la naissance de Clouzot, sort enfin sur les écrans nationaux le 11 novembre 2009.
L'enfer d'Henri-Georges Clouzot n'est pas le film que le cinéaste a tenté de tourner, il y a 45 ans. C'est un documentaire de Serge Bromberg sur le film, relatant les péripéties d'un projet grandiose jusqu'à son naufrage.
En 1964, H.-G. Clouzot se lance dans la réalisation d'un film ambitieux, L'Enfer, avec Romy Schneider et Serge Reggiani. Le sujet en est la jalousie maladive du héros, Marcel Prieur, confronté aux frasques de sa femme Odette, sans que l'on sache vraiment quelle est la part du phantasmé et celle du vécu. Grâce à sa réputation et à la distribution du film, il obtient de la part de la Columbia, un budget illimité. Ce qui aurait dû être un avantage causera la perte du film.
L'Enfer est un film novateur, expérimental, basé sur la lumière et des codes de couleur, ce qui explique ces étranges maquillages colorés et pailletés qu'arborent Romy Schneider ou Dany Carrel. Le Noir et Blanc représente l'ordinaire, la couleur synthétise le mal, la perversion comme la tentation. Comment ne pas penser à Hitchcock, le grand rival de Clouzot en matière de suspens, et aux images obsédantes de La maison du Docteur Edwards, en voyant les visions perturbées de Marcel Prieur ? Comment ne pas penser à Vertigo en voyant ce plan de Reggiani devant le viaduc de Garabit ?
Car c'est en ce lieu que Clouzot avait choisi de situer son film. Le Viaduc de Garabit, dans le Cantal, est un ouvrage d'art remarquable, aussi bien à cause de sa construction par la société Eiffel que de son extraordinaire couleur rouge. Il constitue une pièce maîtresse du film ainsi que le lac qui s'étend à ses pieds. Ce lac sera aussi une autre des raisons de l'échec du film. Le barrage le contenant devant être ouvert quelques semaines après le début du tournage, des cadences infernales étaient nécessaires pour tourner à temps les séquences.
Le tournage sera à l'image du film, infernal. Les protagonistes de l'époque, comme Costa-Gavras ou Catherine Allégret, racontent les difficultés auxquelles ils étaient quotidiennement exposés. Le budget pharaonique et la multiplication inutile des équipes, les conflits fréquents entre les acteurs et un cinéaste autoritaire et exigeant, rend la tâche insurmontable. Romy craque régulièrement, Reggiani a la fièvre de Malte. Finalement, l'un des deux quitte le film mais c'est un dramatique accident qui mettra un terme définitif au naufrage annoncé.
C'est sur toutes ces péripéties que revient L'Enfer d'Henri Georges Clouzot, un film passionnant sur un film qui n'existe pas. Bien évidemment, il en propose des extraits. Mais si les images ont été retrouvées, elles sont sans son ni musique. Bérénice Béjo et Jacques Gamblin rejouent dans un décor sobre quelques uns des dialogues du film. Ces scènes sont malgré toutes peu convaincantes, on a du mal à voir en Bérénice Béjo la magnifique et provocante Romy, au sommet de son charme. Dieu qu'elle était belle, en 1964, étourdissante, à se damner.
L'Enfer d'Henri-Georges Clouzot, on ne le verra jamais. Mais L'Enfer d'Henri-Georges Clouzot de Serge Brombreg et de Ruxandra Medrea fait plus que nous le montrer, il nous le démontre.
L'ascenseur qui provoqua la rencontre entre Bromberg et Inès Clouzot figure d'ailleurs au générique. Qu'il soit aussi remercié ici, cet ascenseur défaillant, qui a permis la réalisation d'un tel film.
[L'Enfer d'Henri-Georges Clouzot, Serge Bromberg et Ruxandra Medrea, sortie le 11 novembre 2009]