Teotihuacan, la Cité des Dieux : Merveilles
(suite de l'épisode précédent)
J'ai comme un problème. Faut dire que j'ai pris des tonnes de photos à cette exposition, environ cent soixante, pour une fois que c'était autorisé. Et je n'en ai montré que dix-huit. Il en reste quand même pas mal d'autres à montrer, comme cet amusant pot zoomorphe en forme de tatou. Repensant aux imprécations de l'autre, avec sa chaudière (cf épisode précédent), je me dis que je vais lasser. Aussi décidé-je de faire court. Bon, dix, on va dire que c'est court.
- C'est dix de trop ! hurle derrière moi une voix avec un fort accent hispanique que je ne connaissais que trop. Je ferme les yeux, anéanti. La chaudière est de retour.
- Ce sont des pièces maîtresses qu'il convient de montrer ! tenté-je de le convaincre.
En fait, j'ai choisi trois thèmes pour les présenter : étonnant, grotesque, primordial...
- Mais mon jeune ami, c'est vous qui êtes grotesque ! beugle-t-il...
Il commence à m'échauffer singulièrement.
Je commence par l'étonnant. Ce sont des jarres ou des pots, anthropomorphes ou zoomorphes. Le second vase est siffleur, il émet un bruit aigu quand l'eau s'écoule à l'intérieur.
- Mais arrêtez donc tout cela ! pépie-t-il derrière moi.
Tiens, un bruit un peu comme lui... strident.
Quant au troisième pot, il faut furieusement penser à une oeuvre moderne à défaut d'être contemporaine. Non, vous ne voyez pas ? Bon, je vous laisse chercher.
Grotesques, ces oeuvres le sont. Un peu. Elles sont surchargées aussi bien au sens propre avec force détails inutiles, que sur le plan de leur signification, forcément difficile à maîtriser. Ces poupées gigognes, encadrant un encensoir-théâtre, préfigurent bien longtemps à l'avance les oeuvres du couple mexicain par excellence, Frida Kahlo et Diego Rivera. Et leur élaboration en des temps si reculés est tout simplement remarquable. Des cris me sortent de ma réflexion.
- Sacrilège ! Sacrilège ! Sacrilège ! L'étrange hurluberlu émet volute sur volute. Mal lui en prend, ces volutes se révèlent fatales. Il disparaît brusquement dans l'une d'entre elles. Un froid soudain envahit la pièce.
Et je ne pouvais terminer sans montrer ces trois pièces exceptionnelles. En plus, je peux désormais le faire tranquillement.
Datant de mille cinq cents ans, ce masque est le joyau de l'exposition, fait d'amazonite, de turquoise, aux yeux de nacre et d'obsidienne. Il porte sur son front le glyphe de l'eau qui court. Quant à la Stèle de la Ventilla, on n'en connaît pas bien l'utilité. Il semblerait que ce soit un marqueur pour jeu de balle, sans toutefois que l'existence de tels jeux soit avérée à Teotihuacan. Enfin, le disque de la mort serait lié (le conditionnel est décidément le temps-roi de Teotihuacan) aux sacrifices humains, comme le laissent supposer cette outrageuse couleur rouge qui le teint ou ce soleil assoiffé, tirant la langue.
Voilà, le livre d'images de Teotihuacan se referme. Et il était temps ! Car le plaisir des yeux ne saurait cacher la plus cruelle des vérités : avec mon art mésoaméricain, je lasse. Rideau.
[Teotihuacan, la Cité des Dieux, Musée du Quai Branly, 6 octobre 2009 - 24 janvier 2010]