Rue Dieulafoy
Le docteur Dieulafoy a pu en effet être un grand médecin, un merveilleux professeur; à ces rôles divers où il excella, il joignait un autre dans lequel il fut pendant quarante ans sans rival, un rôle aussi original que le raisonneur, le scaramouche ou le père noble, et qui était de venir constater l'agonie ou la mort. Son nom déjà présageait la dignité avec laquelle il tiendrai l'emploi, et quand la servante disait: "Monsieur Dieulafoy", on se croyait chez Molière. [...] Il avait la souplesse d'un prestidigitateur à faire disparaître le cachet qu'on lui remettait, sans pour cela perdre rien de sa gravité de grand consultant à la longue redingote avec revers de soie, à la belle tête pleine d'une noble commisération.
[Marcel PROUST, Le Côté de Guermantes, À la Recherche du Temps Perdu]
Le Dieulafoy de Marcel Proust est très librement inspiré de l'original qui, disciple de Trousseau, fut l'un des premiers à découvrir l'appendicite, et devint un spécialiste de son traitement. Ses ouvrages - notamment les Cliniques médicales de l'Hôtel-Dieu - firent autorité et en 1910, il fut élu président de l'Académie de Médecine. Il décédera l'année suivante.
La rue Dieulafoy est une rue paisible du treizième arrondissement, proche de la Poterne des Peupliers, non loin de la petite Alsace. Mes pas m'y ramenèrent, il y a quelques mois, bien des années après avoir découvert ce quartier. L'atmosphère n'avait guère changé, il y règnait toujours cette impression d'irréalité tant les pavillons sont semblables, évoquant certaines rues résidentielles de Londres, mais les couleurs pastel des maisons ajoutent une touche de fantaisie qui évite l'uniformité.
Ces quarante-quatre maisons font partie du même programme immobilier, comme leur allure identique le laisse deviner. L'architecte Henry Trésal les a conçues en 1921, s'adressant à une clientèle intermédiaire, leur proposant des habitations accessibles, bien que plus chères que la moyenne. Difficile aujourd'hui de se croire en plein Paris !
Comme dans tout endroit que je visite, je traquais le félin. Celui-ci avait traversé devant moi d'un pas alerte et assuré, mais avant même que je le rattrapasse, il s'était posé sur un escalier que j'ai supposé à lui, comme si cela faisait des heures qu'il se prélassait là et que ma présence constituait une intrusion inadmissible. Son regard en disait long sur le ressentiment qu'il éprouvait à mon égard et inconsciemment, je remerciais cette porte de nous séparer.
[Rue Dieulafoy, Paris XIIIe]