Ma Creuse
Sur la route du retour, l'arrêt en Creuse était indispensable. Il y a longtemps que nos cris d'enfants et que les rires des aieux ne résonnent plus dans la maison, mais je les entends toujours. Je me rappelle ma crainte irraisonnée de cet angle au bout d'un couloir qui menait à une pièce sans rideau ni volet, ouverte la nuit sur le noir le plus profond. Je me rappelle ce petit débarras qui avait abrité durant de longues années un lot que j'avais gagné à la fête du village. Quelle idée aussi d'offrir des lapins ! Je me rappelle la cave où je n'allais qu'accompagné, et dans la journée. Mais en ce jour d'été 2006, c'est au grenier que je retourne, nos jouets sont encore là, le château fort, les Dinky Toys, les journaux de Mickey que ma mère achetait parfois en double pour ne pas faire de jaloux. Une époque heureuse, révolue.
Elle en revanche est toujours là. Le matin, la brume que les arbres seuls arrivent à percer, la recouvre entièrement. Puis, dans la journée, elle s'écoule paisiblement. Mon frère et moi faisions des courses de barques sur cette rivière sans fin. Chaque année, nous la remontions davantage, chaque année, la fin se rapprochait. Nous atteignimes un jour cette fin. Satisfaction ou déception, difficile à dire. Mais désormais les barques ont disparu.
La nuit, elle semble ne plus couler, sa masse noire est au repos, mais le bruit de l'écluse nous berce de son ronronnement régulier. Demain matin, elle sera entièrement recouverte par la brume.
La Creuse, c'est ma rivière comme la Seine est la tienne.
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[La Grande Creuse, Creuse, juillet 2006]