Près de Boussac, les Pierres Jaumâtres
(suite de l'épisode précédent)
Quittons à regrets Boussac, dirigeons-nous vers Toulx-Sainte-Croix plus au sud et battons la campagne à la recherche de ces fameuses pierres si célèbres en Creuse. Un sentier est là qui conduit aux pierres que tout enfant, je croyais jaunâtres... jusqu'au jour où, honteux, j'avais découvert mon erreur. Empruntons-le !
Quand on s'apprête à découvrir en vrai ce que l'on a toujours connu par procuration, une légère appréhension sourd généralement, sans doute la peur d'être déçu, ou la fin d'un rêve, sentiments contradictoires et troublants.
Une fois gravi le chemin et traversé les sous-bois broussailleux, les voilà donc, ces Pierres Jaumâtres, source de ma honte enfantine. Cet entassement de roches granitiques est réellement impressionnant. Mais comment un tel amoncellement est-il possible ?
George Sand a situé dans la région l'action de son roman Jeanne. Elle y décrit les pierres :
Elles sont disposées dans un certain ordre mystérieux et assises par masses énormes sur de moindres pierres, où elles se tiennent depuis une trentaine de siècles dans un équilibre inaltérable. Une seule s'est laissé choir sous les coups des premières populations chrétiennes, ou sous l'effort du vent d'hiver, qui gronde avec persistance autour de ces collines dépouillées de leurs antiques forêts.
Si une s'est laissé choir... y en a une autre qui n'est pas loin de faire pareil.
Chaque pierre ou ensemble de pierres porte un nom imagé. Ici, c'est l'autel des sacrifices gaulois. George Sand en parle également :
... tables monstrueuses où les dieux barbares venaient se rassasier de chair humaine, et s'enivrer du sang des victimes ; autels effroyables où l'on égorgeait les prisonniers et les esclaves, pour apaiser les farouches divinités. Des civettes et des cannelures creusées dans les angles semblent révéler leur abominable usage, et avoir servi à faire couler le sang...
Là, en équilibre instable, c'est la Boussaquine qui offre une vue imprenable sur Boussac et ses alentours.
Jean-François Barailon, député creusois du dix-huitième siècle prétendait ces amas érigés par les gaulois en guise de lieu de culte. Depuis, nombre de légendes ont pris naissance parmi ces masses rocheuses, peuplées de gaulois sanguinaires ou de fées malveillantes. Pourtant, c'est bien l'érosion naturelle qui a créé de telles structures. Et c'est Prosper Mérimée, décidément indispensable dans la région, qui montrera le caractère fantaisiste des affirmations de Barailon.
Cependant, le flâneur solitaire, à défaut de cruels gaulois, se surprendra plus d'une fois à observer le frémissement d'une fée. Et si finalement ce que certains ne considèrent que comme légendes ancestrales subsistait depuis toujours à l'ombre des doutes de leurs esprits incrédules ?
[Les Pierres Jaumâtres, Creuse]